Par Patrick Legand
Une journée chaude et ensoleillée d’un mois de juin, je dois me rendre à Vilnius, en Lituanie. J’arrive donc à Roissy vers 17h30 pour mon avion de 19h00, qui doit me déposer aux alentours de 22h00 à Riga, me permettant ainsi d’attraper une correspondance à 23h pour Vilnius. J’espère en conséquence être vers minuit 30 à l’hôtel, heure tout à fait raisonnable pour le jeune-très-dynamique-couche-tard que je suis, qui attaquera, à n’en pas douter, une journée en pleine forme le lendemain.
Je retrouve donc à Roissy mon ami Philippe, avec lequel je dois effectuer la mission. Philippe est hilare ! L’hôtesse vient d’annoncer qu’un petit problème technique sur notre avion oblige la compagnie à mettre un avion plus petit, et que tout le monde ne voyagera pas ce soir. Petit détail fâcheux dans l’histoire, Philippe et moi faisons partie des heureux élus qui resteront en carafe sur le tarmac! Damned!! Un peu désarçonnés, nous échangeons avec l’hôtesse quelques propos, fort sympathiques d’ailleurs, elle n’y est pour rien, osant même l’incandescent « Chère madame, accepteriez-vous de virer odieusement deux passagers pour nous mettre à leur place, s’il vous plaît ? » Bon, elle rigole, mais son sourire désarmant nous fait comprendre que la cause va être difficile à défendre. Philippe et moi nous répartissons donc les tâches, l’un pour trouver des chambres d’hôtels à Roissy (j’en rêvais depuis longtemps !), l’autre pour trouver un vol, et accessoirement prévenir le client. Tout ceci n’est pas immédiat, et l’hôtesse, compatissante, s’enquiert de temps à autre de notre triste sort. On plaisante, nous évoquons notre possible installation dans les couloirs de l’aéroport dans les jours qui viennent, proposons même nos services pour pousser les chariots, il faut bien s’occuper…
45 minutes plus tard, une stratégie semble toutefois se dessiner, nous allons pouvoir activer le plan B. Mais à cet instant, le signe discret de notre charmante hôtesse nous attire derechef vers le comptoir, et elle nous murmure sur un ton très confidentiel : « Bien, finalement vous voyagez ce soir. Voici vos cartes d’embarquement. Bon voyage ! » Oh miracle !! Notre blague de potache aurait-elle conduit au sacrifice regrettable de deux pauvres malheureux ? Je n’ose l’imaginer… Bref, nous annulons le plan B, et nous voilà partis.
Oui, enfin… Car tout cela a pris du temps, et l’embarquement tardif à 19h45 fait subitement planer un doute sur notre correspondance d’une heure, déjà amputée de 45mn, il va falloir courir vite à Riga. D’autant que des passagers un tantinet lambins en rajoutent un peu, nous partons in fine à 20h30, là, ça devient chaud…
En effet, il fait très chaud à Riga lorsque nous débarquons en cette belle nuit d’été… à 23h30 ! Eh oui ! En prime nous avons eu droit aux vents contraires! Sur la passerelle, l’atmosphère est douce, le scintillement des étoiles nous offre un ciel saisissant, un véritable moment suspendu, outrageusement perturbé par un vacarme insupportable, celui d’un avion qui décolle. L’avion pour Vilnius, justement !
Groumph ! Un plan C s’impose donc de lui-même… Il n’y a plus qu’à appeler les hôtels de Riga, que Philippe, prévenant, avait pris soin de répertorier avant de partir; il faut aussi replanifier le voyage.
Suivant le flot des passagers, nous pénétrons dans l’aérogare, mais tout le monde, ou presque, s’en va, la plupart étant arrivés à destination; l’avion de Vilnius était le dernier! Ainsi l’aéroport de Riga s’endort inexorablement, il n’y a plus d’annonce, pas même pour nous, pauvre quinzaine d’individus paumés, laissés à l’abandon, devenant imperceptiblement rien de moins que des intrus au milieu de ce bâtiment désormais vide, silencieux, plongé dans le noir, car ils éteignent aussi les lumières, les vaches ! Il y a des moments dans la vie où l’on se sent moins seul ! Je ne sais pas pourquoi, l’idée me traverse de faire un film, « Lost in connection »…
Sur notre lancée, nous continuons de marcher dans ce lieu désert, où l’on ne nous a pas encore fichu dehors, on ne sait plus vraiment vers où, plutôt au hasard, désœuvrés, pensant à la mission de demain matin – ce matin, en réalité, et qui ne m’a jamais paru autant compromise !
En haut d’un escalier, j’aperçois cependant la porte légèrement entrouverte d’un bureau, d’où filtre un mince rayon de lumière; la trace possible de l’existence d’un humain, derrière la porte ? Plus rien à perdre, je monte, je frappe, j’ouvre… et découvre trois dames affairées, dont l’une me sort tout de go en me voyant : « Ah ! Vous êtes les passagers pour Vilnius ?? » Ce sont des choses, il faut le vivre pour le croire. Il y a des petites phrases comme ça, toutes simples, anodines, qui remplissent de joie, qui redonnent l’énergie de partir jusqu’au bout du monde, le sentiment que l’on n’est pas encore totalement échoué sur cette rive lointaine ! L’assurance qu’un humain est là, et qu’il peut nous aider !! Et cette deuxième phrase extraordinaire de cette chère dame, apercevant la petite quinzaine de mes compagnons d’infortune en train de nous rejoindre, « Ne bougez pas, on vous apporte de l’eau ! ». Dans le feu de l’action nous n’y pensions plus, mais avec cette chaleur nous étions desséchés. Et ces délicieuses personnes nous offrent de l’eau ! Honnêtement il y a deux moments que je n’oublierai jamais dans ma vie : la fois où l’on m’invita pour une verticale Château Margaux au bord du lac de Côme, et la fois où, au milieu de la nuit, à l’aéroport de Riga, l’on me donna un verre d’eau !
Malgré l’heure tardive, ces hôtesses fabuleuses ont du ressort et de l’enthousiasme, elles se mettent immédiatement en quête d’une solution.
Un quart d’heure plus tard, l’une d’elles, vive et pétillante, vient vers nous et nous annonce avec un grand sourire : « Alors, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle ! ». Haha… J’attends la suite avec impatience : « La mauvaise nouvelle, c’est que l’avion de demain matin est complet ! ». Oui, ça, j’aurais été surpris du contraire. « La bonne nouvelle, c’est qu’on vous a trouvé des taxis, et que vous partez tout de suite ! »
Non, un canular je pense ?? On s’achemine déjà vers 1h du matin, Vilnius est encore à 300 bornes, et on y va en voiture, moi qui déteste la voiture, moi qui suis toujours malade en voiture !? Ben oui, deux taxis arrivent illico, des Espaces, et l’on s’entasse comme on peut à 7 ou 8 par taxi, bagages compris ! Du plaisir en perspective, il n’y a plus que 4 heures à tirer ! Mais quand on n’a pas le choix… Et puis, arrivant sur les coups de 5h du mat, la réunion de 9h30 redevient d’actualité !
Entassé dans cette boîte à chaussures, j’essaie d’utiliser ce temps pour fermer l’œil, j’ai de la chance, je suis près du hublot ! Mais j’avais oublié un petit inconvénient dans ces contrées nordiques au voisinage du solstice d’été, le fait que le jour s’invite tout simplement à une heure où on ne l’attend pas, à partir de 2h30 le ciel commence s’éclaircir vigoureusement ! Pour une longue nuit réparatrice c’est râpé, d’autant que vers 3h45 une violente embardée achève de nous mettre tous en éveil, nous avions failli écraser un ours polaire qui traversait la route (non j’exagère, c’était juste un renard).
Finalement, 5 heures bien sonnées, sous un soleil radieux et déjà haut dans le ciel, nous entrons dans la très belle ville de Vilnius, le voyage touchant ainsi à sa fin ! Pour la suite, rien d’exceptionnel, une fin de nuit très confortable, à l’hôtel, le client compréhensif ayant accepté de décaler à 14h30. Les premiers contacts avec les Lituaniens en milieu de matinée, dans une sympathique librairie-pâtisserie proposant un excellent espresso, une rapide découverte du centre-ville, majestueux, que je dois absolument revenir visiter, et la première expérience de la cuisine lituanienne au déjeuner, en particulier l’expérience du « Zeppelin ». Ça, c’est une autre histoire, je la raconterai peut-être un jour. Ou peut-être pas. J’hésite…